Journée d’études: Le sanctuaire de la Ka’ba et son symbolisme – 19 octobre, Aix
9h-17h, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme/MMSH, salle Paul-Albert Février
Jeudi 19 octobre 2023, 9h-17h, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme/MMSH, salle Paul-Albert Février, Aix-en-Provence et en visioconférence : lien Zoom. Langues : français, anglais.
Organisateurs : Fârès Gillon (Aix-Marseille Université, IREMAM) et Gregory Vandamme (Université Catholique de Louvain)
L’expression ahl al-qibla (« gens de l’orientation [vers la Kaʿba] ») fut l’une des premières appellations par lesquelles les musulmans se désignaient eux-mêmes par opposition aux autres communautés religieuse. Il en résulte que la construction intellectuelle de la symbolique du sanctuaire mecquois est au cœur de l’élaboration progressive de l’islamité. Les contributions de cette journée démontreront qu’il est possible d’esquisser un paysage intellectuel à partir des points d’entrée que constituent le sanctuaire de la Kaʿba et sa sacralité. Y seront abordées des approches théoriques, notamment symboliques, contribuant à cette sacralisation. Ce marqueur de l’identité islamique est en effet le lieu de spéculations ésotériques, occultes et/ou métaphysiques pour différents courants, parmi lesquels le sunnisme, le soufisme, et les chiismes (chiisme « exagérateur » (ghulāt), ismaélisme, nuṣayrisme).
The term ahl al-qibla (“people of the orientation [towards the Kaʿba]”) was one of the first designations by which the early Muslims labelled themselves as opposed to other religious communities. The intellectual elaboration of the symbolism of the Meccan sanctuary has thus been central to the progressive construction of an Islamic identity. The contributions to this workshop will demonstrate that it is possible to sketch an intellectual landscape by taking the sanctuary of the Kaʿba and its sacredness as entry points. Theoretical approaches, particularly symbolic ones, contributing to the sacralization of the sanctuary of the Kaʿba will be discussed. This hallmark of Islamic identity is indeed the locus of esoteric, occult and/or metaphysical speculations stemming from various intellectual currents in Islam, among which Sunnism, Sufism, and Shiisms (“exaggerating” Shiism (ghulāt), Ismailism, Nuṣayrism).
PROGRAMME
9h-9h15 – Accueil des participants
9h15-9h30 – Introduction (Fârès Gillon et Gregory Vandamme)
9h30-11h00 – Panel 1 – Topographies sacrées / Sacred topographies (chair : Fârès GILLON)
9h30-10h00 : Anna CAIOZZO (en ligne), Présence de la Kaʿba dans les manuscrits à peintures orientaux médiévaux (XIVe-XVe siècle)
10h00-10h30 : Jean-Charles DUCÈNE, Le sanctuaire de la Kaʿba et ses représentations topographiques médiévales
10h30-11h00 : Harry MUNT (en ligne), The Kaʿba and al-Fākihī’s history of Mecca
11h00-11h15 – Pause-café / Coffee break
11h15-12h45 – Panel 2 – Représentations symboliques / Symbolic representations (chair : Luca PATRIZI)
11h15-12h15 : Adam BURSI (en ligne), On the Pattern of God’s Throne: The Kaʿba as Heaven on Earth
12h15-12h45 : Gregory VANDAMME, Le sanctuaire de la Kaʿba et ses dimensions symboliques dans les Futūḥāt makkiyya d’Ibn ʿArabī
12h45-14h30 – Pause déjeuner / Lunch break
14h30-16h00 – Panel 3 – Philosophies et symboliques de la ritualité / Philosophies and symbolisms of rituality (chair : Gregory VANDAMME)
14h30-15h00 : Olga LIZZINI, Le pèlerinage et les autres rites. Quelques notes sur l’anthropologie philosophique d’Avicenne
15h00-15h30 : Luca PATRIZI, Le symbolisme des reliques de la Kaʿba et leur utilisation rituelle à travers les sources historiographiques et exégétiques islamiques
15h30-16h00 : Fârès GILLON, Interprétations ésotériques du sanctuaire mecquois dans le chiisme des Xe-XIe s., entre antinomisme et symbolisme
16h00-16h15 – Pause-café / Coffee break
16h15-17h – Discussion générale / General discussion
RÉSUMÉS DES COMMUNICATIONS
Adam BURSI (Cornell University)
On the Pattern of God’s Throne: The Kaʿba as Heaven on Earth
In the Qurʾānic verse mandating the turning of the qibla toward the Sacred Mosque (al-Masjid al-Ḥarām), it is stated that God had previously seen the Prophet turning his face towards heaven (Q 2:144). Perhaps fortuitously, the Kaʿba was itself understood by some early Muslims as a sort of heaven on earth. Early Islamic traditions describe the Kaʿba as constructed with the same dimensions as God’s throne or, more frequently, the dimensions of the “Much-Frequented House” (al-Bayt al-Maʿmūr, Q 52:4), a celestial model for God’s House on earth. The terrestrial building’s visitors are said to circumambulate it in the same manner that the angels circle the paradisical equivalent. Portals between heaven and earth are said to exist around the Kaʿba, allowing heavenly breezes and angelic visitors to make their way to the space of earthly pilgrimage. The building’s very smell is connected to paradise in traditions that place the origins of musk, ambergris, saffron, and aloeswood—ingredients in the perfumes that coated the Kaʿba’s interior and exterior walls—in the gardens of paradise. A physical piece of paradise itself was found on the Kaʿba in the form of the Black Stone lodged in its corner, which pilgrims longed to touch and kiss.
This paper will suggest that the conception of the Kaʿba as paradise on earth—whether understood symbolically or, by some at least, quite literally—was an important lens through which early Muslims understood this building at the heart of their still forming sacred geography. With notable parallels to traditions about Jerusalem’s sacrality, this celestial understanding of the building and its sanctuary likely attests to formative conceptions of Mecca’s sacrality.
Anna CAIOZZO (Université d’Orléans, POLEN)
Présence de la Kaʿba dans les manuscrits à peintures orientaux médiévaux (XIVe-XVe siècle)
Le sanctuaire de La Mecque dont la Kaʿba devient un thème pictural important à l’époque ottomane sur tous supports et principalement dans les guides des lieux de pèlerinage et dans la céramique, toutefois, il fait son apparition dans les manuscrits à peintures et dans les certificats peints de pèlerinage dès l’époque dite médiévale aux XIVe et XVe siècle. Toutefois dès le XIIIe siècle, on peut voir la procession du maḥmal dans les Maqāmāt de Ḥarīrī.
Cette évocation principalement centrée sur la Kaʿba possède, quel que soit le registre pictural, une indéniable dimension spirituelle bien que les corpus afférents – hormis les certificats de pèlerinage – soient essentiellement profanes. Son évocation symbolique participe souvent du cheminement personnel des héros dans leur rapport à l’espace du monde peuplé, l’œkoumène.
On signalera les différentes évocations et leurs significations en essayant de comprendre comment la trajectoire héroïque, dans la poésie épique particulièrement, chez Firdawsī, puis Niẓāmī, participe de la construction d’une topographie spirituelle reliée à un ensemble de correspondances entre les cieux et les régions du monde, sous le regard des astres tutélaires.
On verra ainsi, que les anciens centres religieux sont progressivement déchus au profit d’une topographie spirituelle islamisée où les images jouent un rôle clef.
Jean-Charles DUCÈNE (École Pratique des Hautes Études – PSL)
Le sanctuaire de la Kaʿba et ses représentations topographiques médiévales
Les représentations topographiques du sanctuaire de la Ka‘ba trouvent place dans les textes descriptifs géographiques ainsi que dans les écrits abordant le pèlerinage, d’abord dans les certificats puis dans les manuels (Kitāb al-manāsik). Ces dessins en deux dimensions, voire avec l’un ou l’autre élément en élévation, montrent à la fois la localisation relative de certaines constructions, mais assurément l’importance symbolique qui leur été accordée.
Fârès GILLON (Aix-Marseille Université, IREMAM)
Interprétations ésotériques du sanctuaire mecquois dans le chiisme des Xe-XIe s., entre antinomisme et symbolisme
Les sources rapportent au moins deux attentats majeurs contre la Kaʿba aux Xe-XIe siècle, l’un par les Qarmates, l’autre par un homme présenté comme adepte du druzisme. La présente contribution se propose de revenir aux sources doctrinales de ces attaques contre le sanctuaire musulman par excellence, et démontrera qu’elles sont corrélées à l’exégèse chiite personnalisée des prescriptions rituelles de l’islam. C’est donc en premier lieu une affaire herméneutique : si le pèlerinage à la Mecque a un sens caché, celui-ci doit-il être complémentaire de l’accomplissement des rites ou doit-il s’y substituer ?
Au-delà du problème du statut des vérités ésotériques vis-à-vis de leurs pendants exotériques, il s’agit également d’une conception chiite de l’ésotérisme qui en fait une question de personnes : « La religion consiste en la connaissance des personnes », selon un propos attribué à Jaʿfar al-Ṣādiq. L’étude d’une interprétation nuṣayrite des rites du pèlerinage illustrera l’approche de ce chiisme qualifié a posteriori d’ « exagérateur » (ghulāt). Par comparaison, l’étude de plusieurs exégèses ismaéliennes de la Kaʿba mettra en évidence l’originalité foncière de l’ismaélisme, en même temps que son ancrage chiite. En effet, l’idée que la sacralité est essentiellement personnelle plutôt que spatiale (ou, éventuellement, que la sacralité de l’espace est due au fait qu’il symbolise les « personnes » sacrées) est commune aux chiismes anciens, où l’Imam et ses compagnons, comme lieux d’épiphanie, sont les sanctuaires par excellence.
Olga LIZZINI (Aix-Marseille Université, IREMAM)
Le pèlerinage et les autres rites. Quelques notes sur l’anthropologie philosophique d’Avicenne
Selon Avicenne, le prophète est envoyé par Dieu pour communiquer aux hommes comment s’engager correctement dans les obligations qui les conduisent à la vertu, nécessaire à la vie en société. La société elle-même est nécessaire à l’existence de l’espèce et le sens de la Loi semble ainsi dicté par les exigences de la métaphysique. C’est d’ailleurs dans la métaphysique qu’Avicenne légitime les « cinq piliers de l’Islam », dont le pèlerinage. Mais les rites – et celui du pèlerinage en particulier – trouvent leur sens dans l’anthropologie : c’est le corps et l’intellect pratique qui le commande qui justifient la nécessité des rites religieux. Partant de ces prémisses, on tentera d’examiner le rôle du pèlerinage (et de la prière) et les facultés de l’homme qui y sont impliquées selon l’anthropologie philosophique d’Avicenne.
Harry MUNT (University of York)
The Kaʿba and al-Fākihī’s history of Mecca
Local histories have been written for towns and regions across the Islamic world ever since the late second/eighth century. One of the earliest centres of the production of such works was the Ḥijāz and specifically, of course, the two towns of Mecca and Medina. At least two Meccan local histories survive from the third/ninth century, as does one from Medina, and several others are known to have been compiled in this century but have since been lost. That the Ḥijāz saw the production of a number of early local histories is one reason why the surviving works on Mecca and Medina are interesting. Another, however, is that they are organised somewhat differently to many local histories composed in the early Islamic centuries for other towns and regions: rather than offering prosopographical histories of notable locals or chronologically organised histories of events, many histories of Mecca and Medina were arranged topographically. This paper will focus on one of these surviving third-/ninth-century works—the history of Mecca by al-Fākihī (d. between 272/885–86 and 279/892–93)—and in particular on the ways in which the work uses a topographical organisation to centre the Kaʿba, both geographically but also as the fulcrum around which an Islamic salvation history takes shape.
Luca PATRIZI (Università degli Studi di Torino)
Le symbolisme des reliques de la Kaʿba et leur utilisation rituelle à travers les sources historiographiques et exégétiques islamiques
La Kaʿba était active en tant que temple avant même l’arrivée de l’Islam. Pour cette raison, elle était au centre d’une ritualité dont les contours ne sont pas tout à fait clairs, mais qui incluait sans aucun doute la vénération de certains objets sacrés. Il s’agit notamment de la pierre noire et des reliques attribuées à Abraham, comme une empreinte de deux pieds et les cornes d’un bélier liées au sacrifice de l’un de ses fils. Parallèlement, d’anciennes sources historiographiques indiquent qu’Ismaël, le fils d’Abraham, aurait été enterré dans la zone semi-circulaire attenante à la Kaʿba appelée ḥijr. Il est difficile de savoir quels rituels étaient associés à ces objets pendant la période préislamique. Avec l’arrivée de l’islam, une partie de la ritualité cultuelle préislamique est préservée, de même que la vénération de ces objets. De plus, la nouvelle gestion du temple mecquois est à l’origine de nouvelles reliques, parmi lesquelles on peut citer certains accessoires de la Kaʿba tels que la porte, la clé, la gouttière, et surtout, le tissu qui recouvre la Kaʿba, la kiswa, qui était probablement aussi en usage à l’époque préislamique. La vénération de ces objets s’accompagne également d’une nouvelle ritualité, comme le montrent certaines sources historiographiques anciennes, telles que la littérature des akhbār Makka. Les objets sacrés et les reliques préislamiques et islamiques présentent enfin une dimension symbolique évidente, qui transparaît dans la littérature exégétique, en particulier d’ordre ésotérique.
Gregory VANDAMME (Université Catholique de Louvain)
Le sanctuaire de la Kaʿba et ses dimensions symboliques dans les Futūḥāt makkiyya d’Ibn ʿArabī
La Kaʿba occupe une place prépondérante dans la vaste encyclopédie spirituelle d’Ibn ʿArabī, al-Futūḥāt al-makkiyya. Elle en constitue même l’origine, puisque l’acte de naissance de sa longue élaboration a lieu, d’après le récit qu’en donne le Shaykh al-akbar, lors de sa première visite à La Mecque, en 1202. C’est en effet autour de la Kaʿba et de son « secret » que celui-ci raconte avoir reçu par inspiration la majeure partie des savoirs exposés au long des milliers de pages des Futūḥāt. Par-delà le foisonnement des thématiques abordées par l’ouvrage, la Kaʿba se situe donc au centre de son élaboration. Bien que les Futūḥāt ne soient pas un livre sur la Kaʿba, elles se présentent comme un livre de la Kaʿba.
La recherche présentée ici se propose dès lors d’analyser la façon dont s’articulent les différentes mentions de la Kaʿba à travers les Futūḥāt, afin d’en révéler le rôle structurant. La Kaʿba traverse en effet l’ensemble des domaines traités dans l’ouvrage, où elle apparaît à la fois comme un objet métaphysique – qualifié de « cœur de l’être » (qalb al-wujūd) et de « lieu du sans-lieu » – ; comme le centre des rites du pèlerinage, dont Ibn ʿArabī propose une analyse symbolique détaillée ; mais également comme une réalité surnaturelle vivante, avec laquelle Ibn ʿArabī raconte avoir eu une série d’échanges surprenants. Il s’agira donc, d’une part, de mettre en lumière les liens symboliques qui sous-tendent ces diverses utilisations du motif de la Kaʿba, pour en esquisser une synthèse ; et d’autre part, de montrer en quoi ce symbolisme ordonne les différents éléments doctrinaux exposés dans les Futūḥāt.